mercredi 8 juillet 2009

Une révélation


UNE REVELATION

 

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C’était il y a 28 ans... Au cours d’une de mes visites pastorales dans le diocèse, j’ai fait une rencontre inoubliable que je voudrais vous relater sur les pages de ce journal (« Pravoslavnoïé Obozrénié ». - Observateur Orthodoxe - N°28, Sept. 1959). Ma profonde conviction est que, de façon tout à fait inattendue, le Seigneur a daigné me donner la réponse à une question qui nous inquiète tous, et ceci par l’intermédiaire d’un homme peu lettré.

 

Après la divine liturgie et le repos traditionnel dans la salle paroissiale, j’étais descendu inspecter les locaux du sous-sol, et là, je fis connaissance avec le gardien de l’église qui occupait un petit coin modeste en ce lieu depuis plus de 15 ans. Cette personne, menant une vie ascétique, n’acceptait aucune pièce de qui que ce soit, et ne dépensait rien pour elle-même, ne se nourrissant et ne s’habillant que des dons des paroissiens de cette église.

 

L’histoire de ce merveilleux vieillard est pour nous tous extrêmement édifiante. Son admirable narration fut composée d’un ensemble de mots russes, ukrainiens, polonais et de mots anglais mutilés, dont la force et l’expression m’étonnèrent par leur beauté biblique. Ne s’en rendant pas compte lui-même, il employait des mots appartenant aux anciens prophètes et au psautier.

 

Involontairement me vint en mémoire la vie merveilleuse de Marie l’Égyptienne, où la grande sainte, qui n’ayant jamais appris à lire et par conséquent n’ayant jamais lu la Sainte Bible, répondait mot pour mot au saint vieillard Zosima avec les paroles des Saintes Écritures. Ne disait-elle pas elle-même que la Parole de Dieu est vivante et agissante et enseigne d’Elle-même la connaissance à l’homme.

 

Voici notre narration.

 

Ce pieux vieillard était venu dans ce pays (le Canada) il y a une quarantaine d’années. Et, comme bon nombre de nos concitoyens d’alors et d’aujourd’hui, émerveillé par la richesse du pays d’accueil et par la possibilité de s’y enrichir, il se mit en tête de satisfaire cette ambition et il s’éloigna progressivement des voies de Dieu.

 

Employé à l’abattage d’arbres, il travaillait dur de l’aurore à l’aurore suivante, n’accordant de repos à son corps ni les jours du Seigneur ni les jours de fête.

 

Vint ainsi le printemps, rempli de ses journées admirables. Il se rappela soudain de la fête de Pâque qu’aucun orthodoxe russe ne peut rejeter de son coeur, même aux plus sombres moments de sa vie. Mais pris dans le tourbillon d’un travail aussi frénétique, vivant et travaillant dans les bois, il avait perdu progressivement toute notion du temps, et ce n’est que dans le secret de son coeur qu’il percevait la proximité de ce Grand Jour. Il s’enquit donc auprès de ses compagnons de travail de la date de la Sainte Pâque, et ceux-ci, non-orthodoxes, ne purent le renseigner.

 

Mais venant un jour dans un village pour les besoins de son travail, il y rencontra ses concitoyens, et ceux-ci lui apprirent que la Sainte Pâque Orthodoxe était passée depuis deux semaines. Cette information lui produisit une impression terrible et, dans la simplicité de son coeur, la pensée suivante lui vint à l’esprit : « Si Dieu ne m’a pas punit pour avoir travaillé un tel jour, c’est qu’il n’y a pas de Dieu ». Cette pensée se mit à le poursuivre nuit et jour, prenant des proportions énormes. Elle l’absorba entièrement, résonnant dans sa tête avec un rythme endiablé, martellant : « Il n’y a pas de Dieu, il n’y a pas de Dieu, il n’y a pas de Dieu ».

 

Et voilà que se produisit un événement étrange. C’était un jour merveilleux tout ensoleillé. Il sortit dans une clairière et regarda le ciel bleu clair du Canada nordique, quand brusquement quelqu’un le frappa sur les épaules avec une telle force qu’il fut oblige de s’accroupir. Il sentit, alors, qu’il n’était pas seul, que quelqu’un de lugubre et oppressant se trouvait associé à sa personne et l’enveloppait de tout son être. À partir de ce jour, il perdit l’appétit et ressentit un véritable enfer dans son âme. Cet état ne fit qu’empirer et il commença à divaguer.

 

Nous voulons ici attirer l’attention sur la narration tout à fait remarquable de cette possession, qui correspond en tous points à l’enseignement des saints pères concernant ce triste état de l’âme. Le vieillard me dit : « Je n’avais pas perdu la raison, je comprenais parfaitement tout ce qui se disait et se faisait autour de moi. Mais chaque fois que je voulais dire quelque chose de raisonnable, ma langue, ma bouche et mes lèvres ne m’obéissaient plus, agissant sur un ordre étranger, elles prononçaient des paroles insensées, mélées d’injures. Je comprenais cela parfaitement, je le voyais et j’en souffrais énormément. J’avais en particulier de grandes difficultés lorsque je commençais à prier dans mon coeur. Tout mon corps commençait à se tordre et à se plier et bien souvent j’étais contraint d’arrêter la prière, pour arrêter les manifestations extérieures de mon état insensé ».

 

« Lorsque je rapprochais les doigts pour faire le signe de croix », continuait mon vieillard, « je ne pouvais ni les rapprocher ensuite du front, ni approcher mon front contre mes doigts. Quel que fut mon effort pour me signer, je n’arrivais qu’à me faire jaillir la sueur sur mon front, et je sentais qu’une force incommensurable, élastique et lugubre, m’empêchait de me signer ».

 

« Parfois je me sentais mieux, et je faisais avec empressement le signe de croix, comme si je le dérobais à quelqu’un ».

 

Les témoignages des saints Pères s’accordent sur ce point pour dire que le démon ne peut pénétrer dans l’âme humaine, pénétrer dans son essence même, car elle a été créée à l’Image et à la Ressemblance de Dieu. Quand Dieu le tolère, le démon peut se tapir dans le possédé, comme un brigand, s’introduisant dans un espace situé entre l’âme humaine, qui donne des ordres suivant ses désirs, et les membres du corps, qui accomplissent les ordres de l’âme souveraine. Ce domaine où s’embusque le démon, peut être le système nerveux qui met en mouvement tout le corps. Et c’est de manière tout a fait justifiée que la médecine appelle les gens possédés des malades nerveux.

 

Le vieillard avait certaines économies, en tout 300 dollars, ce qui représentait à l’époque une somme non négligeable. Cette somme lui permis de s’adresser à toute sorte de médecins, qu’il suppliait de le guérir ou de lui enlever la vie. Il partait quelquefois au travail, mais le plus souvent il restait au lit.

 

« Et voilà qu’une fois », continuait ce vieillard admirable, « alors que j’étais alité, j’entendis soudain une voix, non pas une voix humaine, mais une voix que j’entendis avec tout mon être, c’était quand même une voix réelle, sonore, vive, précise qui disait : « Ton médecin est là-bas dans les cieux. Tu dois dire avec qui tu désires demeurer : avec Dieu ou avec celui qui est maintenant avec toi? »

 

« En entendant ces paroles, je me sentis comme transformé et m’exclamai plaintivement : Avec Dieu, je veux être avec Dieu! Et la voix poursuivait déjà : Pour être avec Dieu, il faut accomplir ses commandements et se repentir de ses péchés, or tu as beaucoup de péchés ».

 

Le vieillard continuait : « sachant à qui m’adresser, je dis Seigneur, je me suis confessé plus d’une fois de mes péchés ».

 

Et il entendit ; Non, tu ne t’es pas repenti de tes péchés. Tu les disais simplement au prêtre sans repentir. Le prêtre n’est que mon témoin, il faut lui dire ses péchés, ouvrir son coeur à Dieu et se repentir de ses péchés devant Dieu, devant la Mère de Dieu et devant les saints. Tu as beaucoup de péchés. Souviens-toi. Réfléchis ».

 

« Je me suis alors tourné vers mes souvenirs, mais j’avais beau me concentrer, je ne me rappelais de rien. Par trois fois la voix m’invitait à me rappeler de tous mes péchés, et par trois fois je contraignis mon esprit, mais je ne pus me rappeler de rien ».

 

« Alors, redoutable et impérieuse, comme une énorme cloche, la voix se mit à résonner dans tout mon corps, une voix comme si c’était Dieu lui-même : Te souviens-tu quand tu étais enfant, tu as désobéis à ta mère. Et lorsque tu étais adolescent, tu as fait ce péché (et Il nomma ce péché). Et la voix se mit a énumérer tous mes péchés »

 

« Il se passait en moi quelque chose de réellement miraculeux, car chaque fois que la voix nommait un péché, le temps disparaissait pour moi et je me transportais à l’endroit où tout cela avait eu lieu, et alors j’ai commence à me lever de mon lit et suis tombé tremblant à terre, inondé de larmes. La seule chose que je pus dire était Seigneur aie pitié de moi ! ».

 

« Je ne sais combien de temps j’ai passé à terre en pleurant, mais la voix m’éveilla à nouveau : Maintenant va et repens-toi. Mais auparavant enferme-toi dans ta chambre, abstiens-toi de manger pendant trois jours, et dis à haute voix à Dieu les péchés qui t’ont été indiqués. À la fin du troisième jour va chez un prêtre, confesse-toi devant lui et devant Dieu et communie aux Saints Mystères. Après cela tu souffriras encore trois ans, mais pas aussi fort, et après sept ans Je te guérirai Moi-même.

 

J’accomplis tout cela scrupuleusement comme me l’avait ordonné la voix. Mais comment puis-je te raconter, Vladyka, la difficulté que j’ai eue de m’approcher de la sainte confession. Mais le Seigneur miséricordieux me vint en aide et je pus extirper tous les péchés de mon âme. Le prêtre et moi-même pleurions ensemble. Le lendemain je pus m’approcher des Saints Mystères. Là encore je fus poursuivi par la force maléfique, mais pas avec autant d’insistance. Enfin, je pus communier et une joie ineffable pénétra en moi, me purifiant progressivement de la tête aux pieds. Je fus envahi tout entier par une telle joie, par une telle félicité, par une telle béatitude, que je ne pus me retenir et là, devant tout le monde à l’église, je tombai à terre et je pleurai. J’étais déjà connu comme quelqu’un qui avait perdu la raison, aussi ma présente conduite ne souleva-t-elle aucun étonnement. Quelques personnes qui priaient là et qui ne me connaissaient pas eurent l’explication : « C’est un fou ».

 

Ensuite je me suis levé et j’ai fixé de mon regard l’icône du Sauveur, mais par un effet mystérieux le merveilleux visage se couvrit à mon regard d’une sorte de voile, et la même voix se fit a nouveau entendre :

 

« Rappelle-toi de ce que je t’ai dit, tu dois encore durant trois ans te repentir et souffrir un peu car tu as encore des péchés que tu dois encore abandonner. Souviens-toi que maintenant tu n’es plus un autonomiste, mais un Russe. Voilà que j’exalterai l’Orthodoxie sur la terre russe et de là elle illuminera le monde entier ».

 

« Seigneur » osai-je demander, « comment cela sera-t-il possible, car il y règne la commune ».

 

« La commune disparaîtra et se dissipera, comme les cendres au vent. »

 

« Mais pourquoi existe-t-elle maintenant, si elle doit disparaître? », demandai-je.

 

« C’est pour réaliser en Russie un seul peuple, avec un seul coeur et une seule âme, et en le purifiant par le feu, je ferai de lui Mon peuple, le deuxième Israël ».

 

Et là, je me suis hasardé à demander :

 

« Seigneur, mais comment cela sera-t-il possible, quand depuis tant d’années les gens n’entendent plus la parole de Dieu, ils n’ont même pas de livres et ils ne savent rien de Dieu? »

 

« Voilà qui est bien qu’ils ne savent rien, car lorsqu’ils entendront la voix de Dieu, alors ils l’accepteront de tout leur coeur, de toute leur âme. Ici, beaucoup d’entre vous vont à l’église, mais chacun croit à sa manière et n’accepte pas dans son orgueil la foi orthodoxe pure. Malheur à eux car ils se préparent à être consumés. Voilà que j’étendrai ma main droite et l’Orthodoxie à partir de la Russie illuminera le monde entier, et il viendra une telle époque que les enfants là-bas porteront sur leurs épaules les pierres pour construire les églises. Ma main est puissante, et Il n’y aura pas sur terre ni aux cieux une force qui pourrait lui résister ».

 

« Voilà, regarde », retentit la voix, et j’eus une vision de toute la Russie, de toutes ses frontières marquées et gardées par de grandes croix en chêne resplendissantes de lumière.

 

« Quant à toi, je ferai en sorte que tu sois tous les jours à l’église et que tu n’aies aucun besoin, jusqu’au moment où tu sortiras de ton corps et viendras vers Moi. Et comme tu ne peux Me toucher, de même personne ne pourra te toucher. »

 

À ce moment là j’ai demandé au Seigneur dans quelle église je devais aller, car dans notre ville il y avait beaucoup d’églises différentes : uniate, ukrainienne, etc ... Mais la voix me dit : « Je ne connais pas ces églises, car mon Esprit n’y habite point. » Et la voix m’indiqua cette église, dans laquelle je vis jusqu’à présent.

 

En me contant cette admirable histoire, le vieillard était en larmes. Moi aussi, je ne pus l’écouter sans larmes. Les gens me disent souvent, poursuivait le vieillard, que je suis un saint. Mais quel saint suis-je? Je suis, Vladyka, l’homme le plus ignoble et je demande constamment le Seigneur qu’il me permette de me coucher à Ses pieds, comme le chien se couche aux pieds de son maître... Je dis au Seigneur : « Ainsi que l’homme qui se jette à l’eau pour se noyer, permets-moi de me noyer dans Ton amour. Si jamais le péché se présente devant moi et si je voulais étendre vers lui ma main, je te prie, tue moi, mais ne permets pas que je pèche ». Alors que je priais ainsi, j’entendis la voix qui disait : « Ta prière est agréable à Dieu, car tu préfères la mort au péché ».

 

Ce vieillard me raconta aussi que pendant ses efforts de repentir il fit le serment à Dieu de ne jamais prendre de nourriture le vendredi et il accomplit ce « podvig » (effort spirituel) très longtemps. Mais un jour il se trouva dans la maison d’un prêtre et il fut obligé de dire qu’il avait promis de ne jamais rien manger le vendredi. Le prêtre s’employa à le dissuader, en se référant à sa faible santé et l’avait presque convaincu de refuser ce jeûne. De retour à la maison, il désira vivement se désaltérer. Il remplit un verre d’eau et le porta à ses lèvres. Mais là, il se produisit quelque chose d’incroyable - le verre d’eau se serra contre ses lèvres, et une force inconnue l’empêcha de boire. Il entendit soudain une voix « Bois! Pourquoi ne bois-tu pas? ». Je me forçais à incliner le verre, mon coude était libre et je le levais constamment, mais ma main et le verre restaient figés. Par trois fois la voix proposa de boire et par trois fois je fis d’incroyables efforts, mais ma main restait toujours comme prise dans un étau. Alors la voix me dit : « Maintenant tu vois que tu dois écouter ».

 

En réfléchissant à ce dernier cas, j’y voyais une leçon proposée à nous, les pasteurs : à notre époque, où tant de gens s’éloignent du Christ et où la foi se refroidit, nous devons apporter le soutien à toute manifestation de piété, que ce soit dans une communauté ou chez un fidèle isolé, et au lieu de le dissuader d’abandonner le « podvig » qui est entrepris, il faut les aider par nos conseils et recommandations, en procédant avec discernement et sagesse.

 

Que personne ne doute de la véracité de cette histoire émouvante, et que personne n’imagine que tout ce qui vient d’être dit est le fruit de l’imagination maladive d’un vieillard, tombé dans un état de « prélest » (séduction, illusion spirituelle). Tout peut être contrefait par le diable mais jamais le diable ne réussira à nous donner la perception des plus grands dons du christianisme, que sont l’humilité, la douceur de coeur, la simplicité, car étant sans repentir, du fait de son orgueil, il se trouve aux antipodes de ces dons; le diable ne peut présenter ce qu’il n’a absolument pas lui-même. Sur tout le visage de notre vieillard, sur toute sa narration repose ce sceau divin le profond repentir et la douceur du coeur.

 

Il termina sa merveilleuse narration et nous nous séparâmes bientôt. Tout ce qu’il avait dit, je l’ai inscrit. J’ai dû changer beaucoup de mots, mais je transmets tout à fait fidèlement le sens et la structure de tout ce qui a été dit, « car il est bon de cacher les secrets des rois, amis il est glorieux de dévoiler les actions de Dieu » (Tobit, XII,7).

 

 

Evêque Vitaly

 

Actuel Primat de l’Église Orthodoxe

Russe Hors-Frontières.

 

 

 

 

MESSAGER - BULLETIN D'INFORMATION

DU DIOCÈSE DE L'EUROPE OCCIDENTABLE

DE L'ÉGLISE ORTHODOXE RUSSE HORS-FRONTIÈRES

1206 GENÈVE - SUISSE - 3, RUE TOEPFFER

 

988

Millénaire du Baptème de la Russie

1988

 

Numéro double 96-97

MAI 1988


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