mercredi 8 juillet 2009

La culture orthodoxe

LA CULTURE ORTHODOXE

par l’archimandrite Justin Popovitch

 

Quelle est la culture associée au Dieu-Homme historique de l’Orthodoxie, le Seigneur Jésus de l’Évangile? Quels sont ses fondements? Elle est fondée entièrement sur la Personne du Dieu Homme Christ. Dieu est devenu homme pour amener l’homme à la divinité. C’est là le commencement et la fin de la culture théanthropique orthodoxe, dans laquelle le Dieu-Homme est premier en toutes choses. Ni Dieu seul, ni l’homme seul, mais le Dieu-Homme. La théanthropie est l’union la plus intense qui puisse être entre Dieu et I’homme; Elle ne dévalue pas l’homme pour Dieu, ni Dieu pour l’homme. Elle réalise une harmonie et un équilibre idéaux entre Dieu et l’homme. L’homme parvient à la perfection et à la plénitude de sa personnalité par l’union avec le Dieu-Homme. La théanthropie est la seule catégorie autour de laquelle s’articulent les nombreuses facettes de la culture orthodoxe. Elle part du Dieu-Homme et aboutit à l’homme idéal, intégral, théanthropique. Le Dieu-Homme Christ est au centre de l’univers. Il est l’axe autour duquel tournent tous les mondes supérieurs et inférieurs. Il est le centre mystique des âmes autour duquel gravite naturellement celui qui a soif de Vérité et de Vie éternelle. Il est le but et la source de toutes les énergies vitales de la culture théanthropique orthodoxe. Dieu travaille, l’homme collabore: Dieu crée par l’homme, l’homme crée par Dieu ; la créativité divine se prolonge dans l’activité humaine. L’homme manifeste et met en oeuvre le divin qui est en lui et ce processus de création active toutes les énergies divines présentes dans l’homme et dans le monde qui l’entoure. Cependant, pour que cette collaboration avec Dieu soit couronnée de succès, l’homme doit se discipliner et penser, sentir, vivre et créer par Dieu.

 

Tout ceci nous révèle le but de la culture orthodoxe, qui est d’infuser le divin dans l’homme et dans ce qui l’entoure, d’incarner Dieu dans l’homme et dans son monde. C’est en ce sens que la culture orthodoxe est un culte du Dieu Christ, le service du Dieu Christ. Elle est le service incessant du Dieu Christ, une liturgie perpétuelle. L’homme sent Dieu en lui-même et dans toute la création qui l’environne; il fait systématiquement participer Dieu et le divin à toutes ses tâches et à toutes ses activités créatrices; il éveille le divin dans la nature qui l’entoure de sorte que la nature serve Dieu sous la conduite de l’homme qui cherche le Christ, car la nature se met au service de l’homme qui sert Dieu.

 

La culture théanthropique transforme l’homme de l’intérieur; elle rayonne du plus profond, transformant l’âme et — par l’âme — le corps. Dans cette culture, le corps est le jumeau de l’âme; il vit, se meut et existe par elle. Enlevez l’âme et il ne reste qu’un cadavre puant. Le Dieu-Homme transforme d’abord l’âme, puis le corps. L’âme transformée transforme le corps, puis toute la création.

 

La culture théanthropique vise à transformer non seulement l’humanité, mais aussi, par elle, la nature tout entière. Ce but ne peut toutefois être atteint que par les moyens théanthropiques que sont les vertus évangéliques de foi et d’amour, d’espérance et de prière, de jeûne et d’humilité, de douceur et de componction, d’amour de Dieu et d’amour du prochain. La culture théanthropique orthodoxe s’instaure par la pratique de ces vertus. En les vivant, l’homme fait passer son âme de la laideur à la beauté, des ténèbres à la lumière, du péché à la sainteté, de la ressemblance du démon à la ressemblance du Christ. Il transforme aussi son corps en un cadre où l’on peut contempler son âme semblable au Christ.

 

Par la pratique des vertus évangéliques, l’homme acquiert le pouvoir de se dominer et de dominer la nature environnante. En bannissant le péché de lui-même et de son entourage, l’homme bannit une force sauvage et destructrice, apprivoisant ainsi la nature à l’intérieur de lui-même et tout autour. Les saints nous offrent les meilleurs exemples de la sanctification et de la transformation de la nature par des personnes sanctifiées et transformées. Nombreux sont les saints que servirent les animaux sauvages et dont la seule présence apprivoisa des lions, des loups et des ours. Leur relation avec la nature en était une de prière, de douceur et de compassion elle n’était ni brutale, ni hostile, ni sauvage.

 

Ce n’est pas une imposition extérieure, coercitive, mécanique, mais une assimilation intérieure, volontaire, personnelle du Seigneur Jésus par la pratique incessante des vertus chrétiennes évangéliques qui constituent la pierre d’angle du Royaume de Dieu sur la terre et de la culture orthodoxe. Le Royaume de Dieu n’arrive pas par des avenues extérieures visibles, mais par des sentiers intérieurs, spirituels, invisibles. II “ne vient pas comme un fait observable, et on ne dira pas: le voici ou le voilà. En effet, le Royaume de Dieu est à l’intérieur de vous” (Lc. 17. 20-21), à l’intérieur de l’âme sanctifiée, créée par Dieu et semblable à Dieu. En effet « le Royaume de Dieu est... justice, paix et joie dans l’Esprit Saint » (Rom.14, 17), dans l’Esprit Saint et non dans l’esprit de l’homme. Il ne peut être dans l’esprit de l’homme que dans la mesure où l’homme se remplit de l’Esprit Saint avec l’aide des vertus évangéliques. C’est ce qui explique le premier et le plus grand commandement de la culture orthodoxe: « Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et Sa justice et tout cela vous sera donné par surcroît » (Mt.6, 33), c’est à dire toutes les nécessités de la vie du corps, comme la nourriture, les vêtements, le logement (Mt. 6, 25-32). En effet, tout cela vient en prime avec le Royaume de Dieu. Pourtant, la culture occidentale cherche d’abord cette prime; de là vient son paganisme puisque selon les paroles du Sauveur, ce sont les païens qui cherchent ces choses. De là vient aussi la tragédie, puisqu’elle a épuisé son âme à force de poursuivre les choses. Le Seigneur qui est la somme de toute perfection a dit une fois pour toutes: « Ne vous inquiétez pas pour votre vie, ni pour ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez... Tout cela, les païens les recherche, mais votre Père sait que vous avez besoin de toutes ces choses. Cherchez plutôt le Royaume de Dieu, et tout cela vous sera donné par surcroît » (Mt.6; 25,32-33, Lc. 12; 22-31).

 

L’homme moderne a multiplié avec fièvre et à l’infini ses pseudo besoins, transformant notre planète créée par Dieu en un abattoir pour les satisfaire. Pourtant, le Seigneur ami de l’homme nous a révélé il y a longtemps quelle était « la seule chose nécessaire » pour chaque homme et ce pour toute l’humanité. Quelle est-elle? Le Dieu-Homme Christ et tous Ses dons: la Vérité divine, l’Amour divin, la Bonté divine, la Sainteté divine, l’Immoralité divine, l’Éternité divine et toutes les autres perfections divines. C’est là « la seule chose nécessaire » pour l’homme et l’humanité, et en comparaison, tous les autres besoins humains sont dérisoires (Lc. 10; 42).

 

Si nous réfléchissons avec la sobriété de l’Évangile au mystère de la vie et du monde qui nous entoure, nous arrivons à la conclusion que nous avons surtout besoin de renoncer à tous nos besoins pour suivre résolument le Seigneur Christ en mettant en pratique les commandements évangéliques. Faute de cela, l’homme demeure spirituellement stérile et inanimé ; son âme s’atrophie, se dissipe et se désintègre dans une mort progressive. En effet, le Christ a prononcé ces paroles divines: « De même que le sarment, s’il demeure sur la vigne, ne peut de lui-même produire du fruit, ainsi vous non plus si vous ne demeurez en moi. Je suis la vigne, vous êtes les sarments: celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là portera du fruit en abondance car sans moi vous ne pouvez rien faire. Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment et il se dessèche ; puis on les ramasse, on les jette au feu et il brûlent » (Jn. l5 ; 4-6).

 

Ce n’est que par une union organique spirituelle avec le Dieu-Homme Christ que l’homme peut rendre sa vie et son être éternels. Dans la culture théanthropique, l’homme n’est jamais seul : lorsqu’il pense – il pense par le Christ ; lorsqu’il agit – il agit par le Christ ; lorsqu’il ressent – il ressent par le Christ. En un mot, il vit par le Christ. Qu’est l’homme sans Dieu ? De semi humain au départ, il finit par devenir inhumain. Ce n’est que dans le Dieu-Homme que l’homme trouve la plénitude et la perfection de son être propre, son archétype, ses possibilités illimitées, son immortalité et son éternité ainsi que sa valeur absolue. Le Seigneur Jésus seul a proclamé à toute la création que l’âme humaine est le joyau le plus précieux du Cosmos. « Que sert à l’homme de gagner le monde entier s’il perd son âme ? Ou bien que donnera l’homme qui ait la valeur de son âme? » (Mt. 16; 26).

 

Tous les soleils et toutes les étoiles valent moins qu’une seule âme humaine. L’homme qui dissipe son âme dans les vices et les péchés ne pourra la racheter même s’il est maître de tous les systèmes solaires. Une unique chance se présente pour l’homme: le Dieu Homme Christ qui donne à l’âme l’assurance de l’immortalité et de l’éternité. Les choses ne donnent aucune assurance à l’âme, elles l’asservissent. Le Dieu-Homme libère l’homme de la tyrannie des choses. Les choses n’ont aucun pouvoir sur l’homme du Christ, c’est lui qui a autorité sur elles. Il attribue à toutes choses leurs justes valeurs, car il les évalue d’après le critère du Christ. De la sorte parce que le grand livre du Christ attribue à l’âme humaine une valeur incomparablement supérieure aux autres êtres et aux autres choses, l’Orthodoxie accorde toute son attention et tout son soin à l’âme. C’est pourquoi la culture orthodoxe est par prééminence la culture de l’âme.

 

 

L’OBSERVATEUR ORTHDOXE

ISSN 0824- 653X

MARS 1985 No 7


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