mercredi 8 juillet 2009

L'apocalypse de notre temps

L’APOCALYPSE DE NOTRE TEMPS

 

Nos pasteurs et leurs troupeaux connaissent des temps exceptionnels que l’on peut qualifier, sans la moindre exagération ou exaltation mystique, de pré-apocalyptiques. Le monde ne compte plus un seul dirigeant ou gouverneur qui régisse son peuple selon la miséricorde divine par la grace du Saint-Esprit. “Celui qui retient”, l’oint par Dieu a été enlevé de la terre. L’ère constantinienne du règne sous la grace divine a pris fin. Le dernier livre des Saintes Écritures, l’Apocalypse de l’apôtre saint Jean le Théologien, s’est ouvert dans les faits. L’état russe orthodoxe, héritier de l’Empire byzantin, n’est plus. Le monde entier se retrouve partagé entre deux forces: d’une part le communisme avec son athéisme militant, d’autre part l’Occident dit démocratique où subsiste une lueur de liberté. Superficiellement, ce dernier apparait morcelé en d’innombrables religions et sectes chrétiennes ou non, mais en fait il est cimenté de l’intérieur par un esprit anti-chrétien.

 

Dans Sa Providence, Dieu nous a donné le temps béni du règne des souverains orthodoxes pour que nous puissions sauver nos âmes en toute liberté et tranquillité. L’oint de Dieu nous défendait contre la tentation violente et insupportable qui a maintenant fondu sur le monde sous la forme du communisme et de la franc-maconnerie. Pourtant, à cause de notre péché, nous nous sommes laissés distraire. Chacun s’est concentré sur ses affaires, sa profession. Les médecins, les avocats, les ingénieurs et jusqu’aux moindres experts dans tous les domaines imaginables ont fait de leurs occupations terrestres leur religion, y consacrant tout leur temps, leurs energies et leur coeur. S’il y avait encore place pour la foi orthodoxe dans la vie de ces gens, elle était bien petite et se limitait souvent à une simple observance des rites, et encore fréquemment parce que “c’était la chose à faire” ou parce ce qu’il s’agissait d’un comportement social auquel on ne pouvait déroger. Le Fils de Dieu est descendu des cieux, le Dieu tout-puissant s’est fait homme pour nous rendre divins. D’innombrables justes, prophètes, thaumaturges et fols en Christ ont défilé dans notre monde immense. Le Seigneur nous a envoyé des prédicateurs imposants et des théologiens inspires; les oeuvres de tous les saints Pères de même que les Saintes Écritures ont été publiées, depuis le format de poche jusqu’aux livres liturgiques somptueux. Des millions de brochures, de feuillets et de livres de prière ont été distribués ou vendus pour presque rien. Dans tous les dioceses, on a imprimé des journaux ou des bulletins missionnaires. Pourtant, tout cela a connu le sort des prophéties de jadis et a peu à peu perdu sa force au milieu des distractions infinies qui ont envahi notre peuple. La littérature russe, que le professeur Andreev qualifie si bien de chaire spirituelle de la nation, témoigne clairement de cette chute spirituelle progressive de notre peuple. De la légèreté des « vieux propriétaires terriens »[1] vautrés dans la gourmandise, nous voyons naître le bolchévisme grossier de Nozdrevs[2] où se profile déjà en filigrane l’idéologie athée de Verkhovensky[3] que Lénine suit d’un pas. Que peut-on opposer à ce processus? Nous émettons l’opinion peut-être audacieuse que pour sortir notre peuple de cette impasse de distraction qui le menait peu à peu au plus profond de l’enfer, le Seigneur a commandé à Ses armées angéliques d’ouvrir les portes de l’enfer et de laisser déferler sur notre peuple puis sur le monde entier (car “le jugement commence avec Ma maison”[4]) les démons qui aiguillonneraient les hommes et les tireraient de leur assoupissement pécheur. Par cette ultime et extrême mesure providentielle, le Seigneur veut ramener Son peuple à la raison et le conduire jusqu’à la lumière divine. Chaque ouvrier négligent, distrait par ses activités terrestres, et chacun personnellement se verra tôt ou tard poser la question fatidique: De quel côté es-tu? Du côté du Christ ou de celui du diable? Cette question ne viendra plus des évêques et des prêtres, de qui on a l’habitude de l’entendre et que l’on n’écoute plus guère, mais du diable et de ses serviteurs qui seront alors dépositaires de tout succès dans la vie terrestre, de toute richesse et de toute gloire terrestre pour ces masses de gens distraits. Quelle surprise ce sera pour eux, quel choc! “Tu as tout fait avec sagesse, Seigneur”[5] et Tu le fais encore. Le Seigneur a forcé les démons a ramener le monde distrait à la réalité spirituelle, à lui rappeler qu’il y a un Dieu tout-puissant, qu’il y a des démons, qu’il y a un Royaume des cieux, qu’il y a un enfer et que ce monde va se dissiper comme la brume. Lorsque la question fatidique sera posée, toute âme humaine tremblera, sera bouleversée et secouée jusqu’au tréfonds et sera acculée au choix inévitable. Il n’y aura plus de place pour la neutralité spirituelle, il ne sera plus possible de rester pour ainsi dire dans les coulisses, il ne sera plus possible de tergiverser spirituellement, de s’échapper, de se cacher. Personne ne pourra plus se dissimuler où que ce soit; tous seront dénichés, tous seront débusqués de l’ombre, des plus obscures recoins, et ce sera la fin de la diplomatie spirituelle, de la neutralité temporaire. Le choix est simple et clair: la lumière ou les ténèbres, Christ ou Bélial.

 

Très révérends Pères! Nous vivons déjà les prémices de cette époque du grand choix. De dessous nos trônes épiscopaux, des âmes humaines nous sont enlevées, consumées de l’intérieur, ne nous laissant que des coquilles vides et stériles. Nous devrions le savoir; il s’agit là de l’essence même du problème du monde contemporain, une tentation ardente et consumante. Cela se passe sou nos yeux, et nous devons y voir la volonté et la permission de Dieu. Nous allons assister à des transformations étonnantes chez les gens. D’aucuns qui nous avaient paru pieux jusqu’alors vont soudainement trahir et changer complètement de visage spirituel, tandis que d’autres qui avaient semblé assoupis vont pousser jusqu’à la mort leur zèle pour la piété. Seuls ceux qui aiment le Christ personnellement et qui le reconnaissent comme Sauveur, comme Guide, comme Tout en tout temps, seuls ceux-là choisiront le Christ et se rangeront du côté du Seigneur.

 

Le Seigneur a permis à toutes les puissances du mal de prendre temporairement une telle autorité sur la terre — nous parlerions presque d’omnipotence — que nous, évêques, devons recourir a notre stratégie essentielle, toujours efficace, qui consiste à unir tout notre troupeau à la grâce divine toute-puissante du Saint Esprit. Il n’y a plus personne pour nous aider dans cette tâche pastorale, nous n’avons plus l’oint de Dieu, “celui qui retient” le mal, il n’existe plus de véritable société ou école chrétienne. Même le système juridique du monde chrétien, naguère inspiré des principes évangéliques, est progressivement transformé, miné ou simplement remplacé. Nous sommes seuls. Avant que la trompette de l’Archange fasse entendre son grand “Soyons attentifs” à tous les habitants de la terre lors du second et redoutable avènement du Christ, nous sommes dans l’obligation de lancer notre propre “Soyons attentifs” à notre troupeau. Nous ne devons pas dépeindre une épreuve à venir, mais une épreuve déjà commencée, un choix inéluctable. Ne nous abusons pas et ne créons aucune illusion: la grande majorité des Orthodoxes ne résisteront pas à une épreuve aussi terrible et subiront une chute vertigineuse. Avant que la terre et tout ce qui s’y trouve soit consumé, tout ce qui est superficiel sera brûlé, tout ce qui compte sur la richesse, la réussite et la gloire mondaine, et il ne restera que ceux qui aiment le Christ sans détour et qui Lui sont dévoués jusqu’à la mort... ceux qui n’aiment que Lui, leur Sauveur, et rien ni personne d’autre.

 

Face a cette vision si menaçante du mal déjà triomphant, nous, évêques, devons non seulement lancer un sérieux avertissement à notre troupeau, mais encore l‘unir à la plénitude des dons du Saint Esprit qui demeure toujours dans l’Église du Christ. Notre troupeau tout entier communie déjà à la grâce du Saint Esprit par les saints mystères, et nous n’avons qu’à faire usage de tous les moyens pastoraux dont nous disposons pour attiser cette flamme en un feu ardent, à faire tout ce que nous pouvons pour être, comme le dit l‘apôtre Paul, tout à tous afin que quelques-uns soient sauvés. À titre de mesures concrètes, nous devons absolument convaincre tous nos fidèles d’abandonner l’ancienne pratique de recevoir la Sainte Communion une seule fois par année, s’il en est encore qui suivent cette coutume fort peu louable. Nous devons convaincre nos pasteurs eux-mêmes de prier avant d’accomplir le mystère de la Confession pour que le Seigneur leur accorde le don d’amour, de sagesse, de compassion et de miséricorde. Nous devons aussi inculquer à tous nos fidèles la nécessité de prier avant de se confesser pour que le Seigneur leur accorde le don du vrai repentir, de la contrition et de l‘affliction pour leurs péchés, le don des larmes qui lave nos âmes avec l’eau du second baptême que devrait être notre Confession plutôt qu’une simple énumération momentanée de nos péchés. Il serait bon que tous nos éditeurs laissent tomber la routine pour publier les oeuvres spirituelles orthodoxes les meilleures et les plus pénétrantes qui aient été écrites sur la Confession et la Communion aux Saints Mystères qui sont une source de renaissance et de renouveau pour toute âme chrétienne. Ce devrait être l‘objet de sermons avant chaque jeûne et d’allocutions spirituelles; il faudrait tenir autour de ce thème des conférences grandes et petites, et pas seulement pour les jeunes, mais pour tous, jeunes et vieux. Il est essentiel que de telles conférences ne se limitent pas à la présentation d’exposés, à laquelle les organisateurs accordent souvent toute leur attention, mais qu’elles mettent l’accent sur la formation purement spirituelle des participants. Il faudrait consacrer plusieurs jours à des questions que les gens portent souvent dans leurs âmes pendant de longues années sans jamais obtenir de réponse authentiquement et fidèlement orthodoxe. Ainsi, un lien vivant se créera entre les participants et les pasteurs, la conférence deviendra prière, chaque jour de plus en plus de gens se prépareront à la Sainte Communion; grâce aux offices quotidiens, la conférence se transformera en pèlerinage et atteindra ainsi un sommet de réussite spirituelle.

 

La terrible épreuve dont nous avons parlé est déjà amorcée; elle va bientôt frapper à la porte de chaque pasteur et de chaque fidèle. Les pasteurs doivent donc être très vigilants et, s’ils le peuvent, visiter ceux de leurs paroissiens qui gravissent l’échelle de la réussite sociale et matérielle, ceux à qui sera posé en premier l’ultimatum spirituel. Ils devraient profiter de ces visites pour leur faire réaliser que le jour est proche où ils vont “plafonner” dans leur ascension de succès en succès et être heurtés de plein fouet par cet ultimatum spirituel, se retrouvant pour ainsi dire sur le fil d’un couteau aiguisé. Ne nous faisons toutefois pas d’illusion, très révérends Pères: aucune connaissance anticipée, ni même la plus exacte et la plus détaillée, de toutes les circonvolutions du mal, aucune connaissance de tous les corridors de l’enfer sous la terre ne sauvera quiconque; seul un amour vivant, personnel et fervent pour le Sauveur notre Seigneur Jésus Christ peut le faire. De notre vivant, nous avons eu trop souvent l’occasion d’observer que les investigateurs les plus minutieux des puissances de ténèbres ont malheureusement fini leurs jours dans leurs rangs.

 

Telles sont les conditions contemporaines dans lesquelles doivent vivre nos pasteurs et leurs troupeaux.

 

 

VITALY, archevêque de Montréal

 

 

(Allocution prononcée devant les évêques de l’Église orthodoxe russe hors frontières réunis en concile à Mansonville, Québec, en août 1983)

 

1) Titre d’une oeuvre de Gogol.

2) Personnage d’Âmes mortes de Gogol.

3) Personnage des Possédés de Dostoïevsky.

4)1 Pi. 4,17.

5) Ps. l03, 26.

 

 

L'OBSERVATEUR ORTHODOXE - Septembre 1984 No. 5

Église Orthodoxe Russe À l'Étranger - Archidiocèse de Montréal et du Canada

 


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